Chateaubriand, René
Paria rejetant la société... qui le rejette, René s'enfonce plus qu'avant encore dans son isolement et ses songes en choisissant un "exil champêtre", où "la solitude absolue, le spectacle de la nature le [plongent] presque bientôt dans un état presque impossible à décrire". Toutes les anthologies proposent comme illustration exemplaire de ce personnage type du romantisme naissant, promis à si belle fortune, la page sur "les ravissements" de l'automne et les "orages désirés".
Comment dire l'indicible, sinon par le biais des métaphores et des symboles ? Comment surmonter les contradictions intimes, le déchirement existentiel, sinon par l'incantation lyrique ?
Texte étudié :
Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives, que j'éprouvais dans mes promenades ? Les sons que rendent les passions dans le vide d'un coeur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un désert ; on en jouit, mais on ne peut les peindre.
L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j'entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. Tantôt j'aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes, tantôt j'enviais jusqu'au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l'humble feu de broussailles qu'il avait allumé au coin d'un bois. J'écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur. Notre coeur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour je m'égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu'il fallait peu de choses à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s'élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord sur le tronc d'un chêne, une roche