Commentaire de chassignet
Texte étudié :
Assieds-toi sur le bord d'une ondante rivière :
Tu la verras fluer d'un perpétuel cours,
Et flots sur flots roulant en mille et mille tours
Décharger par les prés son humide carrière.Mais tu ne verras rien de cette onde première
Qui naguère coulait ; l'eau change tous les jours,
Tous les jours elle passe, et la nommons toujours
Même fleuve, et même eau, d'une même manière.Ainsi l'homme varie, et ne sera demain
Telle comme aujourd'hui du pauvre corps humain
La force que le temps abrévie et consomme :Le nom sans varier nous suit jusqu'au trépas,
Et combien qu'aujourd'hui celui ne sois-je pas
Qui vivais hier passé, toujours même on me nomme
Chassignet
Le commentaire composé :
Œuvre volumineuse, dont l’auteur souligne qu’elle fut composée en six mois, le Mépris de la vie s’inscrit, en ces dernières années du XVIe siècle, dans un courant poétique sensible aux images de la mort, de l’agonie et du pourrissement de la chair: les Derniers Vers de Ronsard illustrent cette sensibilité, sans doute alimentée par l’horreur quotidienne des guerres civiles. L’obsédant memento mori du recueil se situe au croisement d’un néostoïcisme sénéquien et d’une puissante inspiration biblique: pourvu d’une solide culture humaniste et scripturaire, Chassignet multiplie les allusions à Sénèque autant qu’à l’Ecclésiaste ou aux Psaumes. Source principale du Mépris de la vie, la Bible n’empêche pas cependant l’influence des contemporains: Philippe du Plessis-Mornay, écrivain et homme politique protestant, avait publié en 1576 un Excellent Discours de la vie et de la mort, qui inspire plusieurs sonnets de Chassignet; mais surtout, l’auteur emprunte largement aux deux premiers livres des Essais: la Préface du Mépris de la vie, à cet égard, n’est pas seulement imitée de Montaigne, elle assemble habilement une série de citations du chapitre «Que philosopher, c’est apprendre à mourir».