Cours philosophique et politique
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici sur notre régime politique, sur l'organisation des séparations, sur la séparation des pouvoirs, sur l'égalité démocratique, toutes ces réalités institutionnelles, tous ces thèmes de la réflexion politique et de la conversation civique, tout cela présuppose le cadre national. Depuis au moins deux siècles, en vérité depuis beaucoup plus longtemps, notre vie et notre pensée politiques présupposent le cadre national. Or, ce qui est présupposé n'est pas interrogé comme tel. On le suppose acquis, posé à côté de nous ou derrière nous, on ne le regarde pas comme un objet digne d'intérêt, on ne le considère pas. Nous ne considérons pas sérieusement la nation, le fait national, la nation comme forme politique.
À cette indifférence résultant d'une longue familiarité s'ajoute un autre affect fort répandu, qui contribue au même résultat ou plutôt l'aggrave : la nation, en tant que forme politique, est déconsidérée, au moins dans cette Europe qui se veut depuis des siècles à l'avant-garde politique du monde. Ce n'est pas notre propos d'examiner avec soin les causes de ce discrédit. Il suffit de mentionner les deux guerres mondiales du XX' siècle. La première est née des rivalités nationales en Europe. La seconde est inintelligible si l'on ne considère pas d'abord les conséquences économiques et politiques du traité de Versailles : celui-ci devait donner la loi à l'Europe nouvelle en recomposant sa carte politique selon le principe des « nationalités ». Ces grands faits expliquent que, pour beaucoup d'Européens, une sorte d'équivalence soit devenue évidente entre la nation et la guerre. En outre, les développements économiques, techniques, moraux, postérieurs à la Seconde Guerre mondiale ont conféré une sorte d'évidence immédiate à la notion d'humanité, à la conviction ou au sentiment que nous sommes tous maintenant, que nous serons de plus en plus « citoyens du monde », et d'un monde « sans