Crise sociétale et fluctuation lexicale au 16e siècle
Le français préclassique (1500-1650) constitue, malgré un paysage lexicographique impressionnant, une synchronie encore assez mal explorée[1]. Pourtant, c’est à notre sens la période la plus mouvementée et la plus captivante de l’histoire de la langue française dont l’évolution lexicale manque cruellement d’analyses ciblées[2]. Notre intervention dans cette école doctorale portant sur la crise se propose d’élucider les nombreuses corrélations entre les changements sociétaux et les mouvements lexicaux intervenant à cette époque, notre approche étant délibérément lexicographique et lexicologique. Rien que le terme crise mérite quelques réflexions préalables (cf. FEW 2, 1345b sous CRISIS)[3]. Il s’agit en fait d’un terme médical de ce XVIe siècle si riche en emprunts, très majoritairement au latin et au grec[4] : mfr. frm. crise f. ‘phase grave d’une maladie, qui doit être décisive dans un sens favorable ou funeste’ (depuis Ambroise Paré [1510-1590]). Un sémantisme passager se développe au XVIIe siècle : frm. crise f. ‘jugement que le médecin fait de la maladie à l’aide de symptômes qui se produisent au plus fort du mal’ (Cotgrave 1611-Pomey 1700), tandis que le troisième sens médical s’avère une évolution tardive du français moderne : frm. crise f. ‘accès brusque d’une maladie chronique, habituellement latente’ (depuis Dictionnaire Général [= fin 19e s.]), à quoi s’ajoute une ramification supplémentaire dans la psychologie : frm. crise f. ‘moment de tension psychologique où l’énervement ou les passions sont à leur comble’ (env. 1680 ; depuis Bescherelle 1845)[5]. Dans le domaine général, d’autres sémantismes apparaissent tardivement en français moderne, surtout frm. crise f. ‘phase grave que traversent la politique, les affaires, etc.’ (dep. Furetière 1690), ainsi que frm. crise f. ‘embarras momentanés entraînant des perturbations dans le fonctionnement de la vie économique’ (depuis Bescherelle