Lorsque le rideau se leva, tout à la fin de 1897, pour la première représentation de Cyrano de Bergerac, il y avait belle lurette que la mode n'était plus à la comédie de cape et d'épée ni au drame historique. L'avortement mémorable des Burgraves, qui marque en 1843 la liquidation des entreprises romantiques, n'avait pourtant laissé la place à rien de décisif. À l'aube du Second Empire, La Dame aux caméliasde Dumas fils avait fourni, à peu de frais, comme un fantôme de théâtre d'idées. Aux grandes machines hugoliennes avait succédé aussi la scène à la Watteau où Théodore de Banville rajeunissait la mythologie avec Diane au bois et s'exerçait à la prestesse de la rime dans Le Beau Léandre. On avait applaudi aux livrets de Meilhac et Halévy entraînés par les flonflons d'Offenbach, on s'était esclaffé au Chapeau de paille d'Italie, au Gendre de Monsieur Poirier ou à Madame Sans-Gêne, mais la lassitude gagnait. Éculé tout cela, usé jusqu'à la corde! Il fallait du neuf. Il y en eut, et selon des formules diverses : Théâtre Libre d'Antoine pratiquant la «tranche de vie» selon les recettes de l'école réaliste et révélant Hauptmann, Léon Tolstoï ou Verga, Théâtre d'Art où Paul Fort, «prince des poètes», inaugure la dramaturgie symboliste, brumeuse et éthérée, Théâtre de l'Œuvre où Lugné-Poe joue Pelléas et Mélisandeet impose nordiques et scandinaves, Ibsen et Strindberg, Gogol ou Björnson, voire, un an tout juste avant Cyrano, le provocant Ubu roi d'Alfred Jarry. L'année même où triomphe la pièce de Rostand, que pouvait aller entendre un amateur de théâtre? Selon ses goûts, sa culture ou sa morale, le bourgeois menait sa famille au Passé de Porto-Riche, au Repas du lion de François de Curel, aux Mauvais bergers d'Octave Mirbeau, au Peer Gynt d'Ibsen ou à La Loi de l'homme de Paul Hervieu. Dans tout cela, rien, assurément, qui puisse passer pour un prélude à Cyrano. Ce fut donc une surprise, et de taille. Sans être une gloire, l'auteur, âgé de vingt-neuf ans,