Danton
LA MORT DE DANTON
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ACTE I, Scène 1 Hérault-Séchelles, Danton, Julie, Une dame , Camille, Lacroix, Lucile
DANTON : Vois la charmante dame, comme elle retourne joliment les cartes ! En vérité, elle s’y entend, on dit qu’elle présente à son mari toujours le cœur et aux autres le carreau. Vous êtes capables de nous rendre amoureux, même du mensonge. JULIE : Est-ce que tu crois en moi ? DANTON : Comment savoir ? Nous savons peu l’un de l’autre. Nous sommes des animaux à peau épaisse, nous tendons les mains l’un vers l’autre, mais c’est peine perdue, nous râpons seulement nos cuirs grossiers l’un contre l’autre, nous sommes très seuls. JULIE : Tu me connais, Danton. DANTON : Oui, ce qu’on appelle connaître. Tu as des yeux noirs et des cheveux bouclés et le teint délicat, et tu me dis toujours : cher Georges. Mais (il montre le front et les yeux de Julie), là, là, qu’y a-t-il là-derrière ? Va, nos sens sont grossiers. Se connaître ? Il faudrait s’ouvrir le crâne et s’extraire l’un l’autre les pensées des fibres du cerveau. UNE DAME : Mais que faites-vous donc avec vos doigts ? HERAULT : Rien. LA DAME : Ne mettez pas votre pouce comme ça, c’est dégoûtant. HERAULT : Voyez, la chose a une physionomie bien particulière. DANTON : Non, Julie, je t’aime comme le tombeau.
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JULIE, se détournant : Oh ! DANTON : Non, écoute ! Les gens disent : la tombe c’est le repos, et tombe et repos ne font qu’un. S’il en est ainsi, entre tes jambes je suis déjà sous la terre. Ma douce tombe, tes lèvres sont des cloches mortuaires, ta voix mon glas funèbre, ta poitrine mon tertre funéraire et ton cœur mon cercueil. LA DAME : Perdu ! HERAULT : C’était une amourette, et qui coûte de l’argent comme toutes les autres. LA DAME : Ainsi, vous avez fait votre déclaration avec les doigts, comme un sourdmuet. HERAULT : Hé, pourquoi pas ? Ne dit-on pas que ce sont les plus faciles à comprendre ? Je fomentais une intrigue avec une reine, mes doigts étaient des princes métamorphosés en