discours I le débat de folie et d'amour louise labé
[FOLIE, AMOUR.]
FOLIE. — À ce que je vois, je serai la dernière au festin de Jupiter, où je crois que l’on m’attend. Mais je vois, ce me semble, le fils de Vénus, qui y va aussi tard que moi. Il faut que je le passe, afin que l’on ne m’appelle tardive et paresseuse.
AMOUR. — Qui est cette folle qui me pousse si rudement ? Quelle grande hâte la presse ? Si je t’eusse aperçue, je t’eusse bien gardé de passer.
FOLIE. — Tu ne m’eusses pu empêcher, étant si jeune et faible ! Mais à Dieu te commande, je vais devant dire que tu viens tout à loisir.
AMOUR. — II n’en ira pas ainsi ! Car avant que tu m’échappes, je te donnerai à connaître que tu ne te dois attacher à moi.
FOLIE. — Laisse-moi aller, ne m’arrête point, car ce te sera honte de quereller avec une femme ! Et si tu m’échauffes une fois, tu n’auras du meilleur1.
AMOUR. — Quelles menaces sont ceci ? Je n’ai trouvé encore personne qui m’ait menacé que cette folle.
FOLIE. — Tu montres bien ton indiscrétion*, de prendre en mal ce que je t’ai fait par jeu ; et te méconnais bien toi-même, trouvant mauvais que je pense avoir du meilleur si tu t’adresses* à moi. Ne vois-tu pas que tu n’es qu’un jeune garçonneau de si faible taille que, quand j’aurais un bras lié, si* ne te craindrais-je guère ?
AMOUR. — Me connais-tu bien ?
FOLIE. — Tu es Amour, fils de Vénus.
AMOUR. — Comment donc fais-tu tant la brave auprès de moi, qui, quelque petit que tu me voies, suis le plus craint et redouté entre les dieux et les hommes ? Et toi, femme inconnue, oses-tu te faire plus grande que moi ? Ta jeunesse, ton sexe, ta façon de faire te démentent assez2 ; mais plus : ton ignorance, qui ne te permet connaître le grand degré que je tiens.
FOLIE. — Tu triomphes de dire3. Ce n’est à moi à qui tu dois vendre tes coquilles4 ! Mais dis-moi, quel est ce grand pouvoir dont tu te vantes ?
AMOUR. — Le Ciel et la Terre en rendent témoignage : il n’y a lieu où [je] n’aie laissé quelque trophée.
Regarde au Ciel tous