Dissertation sur "le feu"
Selon une pratique courante au XVIIIe siècle, l’Académie des Sciences de Paris proposa en 1739 aux savants et aux simples amateurs une question dérivant des travaux de Newton sur laquelle butait la science du temps: qu’est-ce que le feu? Les meilleures réponses, présentées de façon anonyme, devaient être récompensées. Emilie Du Châtelet et Voltaire qui vivait alors avec elle au château de Cirey voulurent répondre à la question chacun de son côté. Ils n’obtinrent pas le prix, qui revint à Euler, évidemment, mais le mémoire de Mme Du Châtelet parut si remarquable que, à la demande de Réaumur, l’Académie décida de le faire imprimer à ses frais. Dans ces fragments, qui commencent par le début du mémoire, on remarquera le souci de rigoureuse logique dans la pensée et dans la présentation; mais surtout le recours à l’observation et à l’expérimentation. Mme Du Châtelet avait fait de nombreuses expériences à son domicile (par exemple avec des miroirs ou des lentilles comme le "verre ardent" qui concentre les rayons du soleil, ou bien avec des mélanges chimiques), pour lesquelles elle protégeait ses belles robes d’un tablier noir. Le feu était considéré comme un corps à part, qui pouvait être mêlé, sous forme de "parties ignées", à d’autres corps.
Le feu se manifeste à nous par des phénomènes si différents, qu’il est presque aussi difficile de le définir par ses effets, que de connaître entièrement sa nature : il échappe à tout moment aux prises de notre esprit, quoiqu’il soit au-dedans de nous-même, et dans tous les corps qui nous environnent.
I. Que le feu n’est pas toujours chaud et lumineux.
La chaleur et la lumière sont de tous les effets du feu ceux qui frappent le plus nos sens ; ainsi, c’est à ces deux signes qu’on a coutume de le reconnaître, mais en faisant une attention un peu réfléchie aux phénomènes de la Nature, il semble qu’on peut douter si le feu n’opère point sur les corps quelque effet plus universel, par