Dissertation sur la politique des Romains dans la religion Montesquieu 1716 Ce ne fut ni la crainte ni la piété qui établit la religion chez les Romains, mais la nécessité où sont toutes les sociétés d’en avoir une. Les premiers rois ne furent pas moins attentifs à régler le culte et les cérémonies qu’à donner des lois et bâtir des murailles. Je trouve cette différence entre les législateurs romains et ceux des autres peuples, que les premiers firent la religion pour l’état, et les autres, l’état pour la religion. Romulus, Tatius et Numa asservirent les dieux à la politique : le culte et les cérémonies qu’ils instituèrent furent trouvés si sages que, lorsque les rois furent chassés, le joug de la religion fut le seul dont ce peuple, dans sa fureur pour la liberté, n’osa s’affranchir. Quand les législateurs romains établirent la religion, ils ne pensèrent point à la réformation des moeurs, ni à donner des principes de morale ; ils ne voulurent point gêner des gens qu’ils ne connaissaient pas encore. Ils n’eurent donc d’abord qu’une vue générale, qui était d’inspirer à un peuple, qui ne craignait rien, la crainte des dieux, et de se servir de cette crainte pour le conduire à leur fantaisie. Les successeurs de Numa n’osèrent point faire ce que ce prince n’avait point fait : le peuple, qui avait beaucoup perdu de sa férocité et de sa rudesse, était devenu capable d’une plus grande discipline. Il eût été facile d’ajouter aux cérémonies de la religion des principes et des règles de morale dont elle manquait ; mais les législateurs des Romains étaient trop clairvoyants pour ne point connaître combien une pareille réformation eût été dangereuse : c’eût été convenir que la religion était défectueuse ; c’était lui donner des âges, et affaiblir son autorité en voulant l’établir. La sagesse des Romains leur fit prendre un meilleur parti en établissant de nouvelles lois. Les institutions humaines peuvent bien changer, mais les divines doivent être immuables comme les dieux