Disserte
Les Poèmes saturniens constituent le premier recueil que Paul Verlaine fait paraître en 1866, alors qu’il est âgé de 22 ans. Il comporte une première section intitulée Melancolia, dans laquelle figure “Mon rêve familier”, un sonnet qui présente le rêve, non sous l’aspect occasionnel que l’on a vu chez Aloysius Bertrand, mais comme un phénomène récurrent, associé à une figure féminine idéalisée. Si la tristesse et la mélancolie apparaissent comme caractéristiques même de la personnalité du poète, le rêve, lié à un imaginaire éloigné du monde réel, semble capable de susciter un certain apaisement. Comment Verlaine envisage-t-il le rêve? Comment la forme poétique qu’il choisit lui permet-il de restituer cette expérience singulière?
I les caractéristiques du rêve
1) Un rêve obsédant
Cette caractéristique est évoquée dès le titre avec le terme de « familier », ainsi qu’avec l’emploi de l’adjectif possessif « mon » qui marque l’appropriation.
De même, Verlaine a recours au présent d’habitude : « je fais » redoublé par l’adverbe « souvent », mis en valeur par la coupe. Autre indice marquant la répétition, l’expression « chaque fois » est elle-aussi accentuée par la césure à l’hémistiche.
La multiplication tout au long du poème des répétitions, qu’il s’agisse de mots ou de sonorités, contribue aussi à cette impression d’obsession : ainsi la conjonction de coordination « et » est utilisée six fois dans le premier quatrain, et le poème dans son ensemble se construit sur les assonances et des allitérations :
• En « an » : souvent, étrange, pénétrant (termes mis en valeur par la lecture du vers comme un trimètre), comprend (x 2), transparent, pleurant.
• En « ai » : fait (x 3), aime (x 3), même (homophonie délibérée : aime/même), être, problème, blême, est (x 3), lointaine, chères.
Ce caractère obsédant est vécu de manière inquiète : l’adjectif « étrange » occupe le premier vers, et d’emblée oriente le poème vers une atmosphère ambiguë où se mêlent