Du véritable sens de l'adage « nul n'est censé ignorer la loi »
16/02/2010 - Du véritable sens de l'adage « Nul n'est censé ignorer la loi »
« Je n'ose plus prononcer la phrase "Nul n'est censé ignorer la loi" ! ». Dans la bouche d'un procureur de la République, pareil aveu (Gaz. Pal. 17-19 janv. 2010, p. 10) a de quoi étonner ; il demeure toutefois compréhensible. La méprise sur le véritable sens du célèbre adage est si générale que l'actuel garde des Sceaux a pu lors d'une interview mise en ligne en tout début d'année sur le site de la Chancellerie déplorer qu'il soit devenu très difficile de le respecter. Plus récemment (5 févr. 2010), un communiqué commun aux deux assemblées parlementaires instaurant un groupe de travail paritaire « pour créer les conditions d'une meilleure qualité de la loi » commence par la question suivante : « " Nul n'est censé ignorer la loi ". C'est sur ce principe que repose notre système juridique. Pourtant, quel citoyen aujourd'hui est capable de connaître et de comprendre la loi qui lui est applicable ? » La méprise n'est donc plus réservée à l'homme de la rue, au justiciable ordinaire ; elle se répand de plus en plus chez certains juristes, membres des professions juridiques et judiciaires, y compris chez quelques magistrats du parquet, et même à la tête du parlement. Une mise au point se révèle nécessaire, un rappel s'impose. Pour MM. Guinchard et Montagnier, traduction du latin Nemo censetur ignorare legem, cet adage « interdit à quiconque de se retrancher derrière son ignorance du droit pour échapper à ses obligations » (Locutions latines juridiques, Armand Colin 2004, p. 50). François Terré analyse précisément chacun de ses termes pour conduire à la même signification (« Le rôle actuel de la maxime " Nul n'est censé ignorer la loi " », Travaux de l'Institut de droit comparé de l'Université de Paris, éd. Cujas, t. XXX, p. 91 s. ? Pour une synthèse plus accessible de cet article, V. F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, coll. Précis, 1991, § 399, p. 333 et 334).