désir : peut-on désirer sans souffrir ?
Tout ce qui vit a des besoins, si tant est que vivre, ce n'est pas être autosuffisant, mais au contraire dépendre, pour sa propre survie, d'un milieu extérieur : la plante a besoin d'eau et de lumière ; l'animal de manger, de boire et de dormir. . Seulement, parce qu'il est doté de conscience et capable de se représenter lui-même, l'homme n'est pas qu'un être de besoins, c'est aussi et peut-être surtout un être de désirs. Le désir se distingue du besoin en ceci qu'il n'est pas issu de notre seule nature d'êtres vivants ; par conséquent, sa non-satisfaction n'entraîne pas nécessairement la mort. Pourtant, le désir a ceci de commun avec le besoin qu'il s'éprouve comme un manque : je désire par définition ce que je n'ai pas, tout comme j'ai besoin de ce qui me fait défaut. Or tout manque se traduit par une souffrance, celle-là même qui nous pousse à le combler, c'est-à-dire à le satisfaire, en sorte que la douleur semble être le symptôme du désir lui-même : nous savons que nous désirons quelque chose quand nous souffrons de ne le point posséder. Aussi la cause semble d'emblée entendue : on ne peut désirer sans souffrir.
Mais si tout désir s'accompagne nécessairement de douleur, et d'une douleur plus grande à mesure qu'il est plus vif, alors il devrait s'ensuivre qu'une vie sans désir fût la seule vie véritablement heureuse ; mais il y a là quelque chose que le simple bon sens, et l'expérience la plus quotidienne, refusent d'admettre.
Ainsi, placer exclusivement le désir sous le signe du manque, et donc de la douleur, c'est oublier qu'il est aussi promesse d'une satisfaction heureuse autant que plaisante, si tant est qu'un désir comblé est source de plaisir véritable en sorte que la question effectivement se pose : peut-on désirer sans souffrir ? En d'autres termes, le désir comme promesse d'une satisfaction qui nous pousse en avant n'est-il pas en lui-même plaisant, n'est-il pas aussi ce qui nous donne à éprouver, de l'intérieur