Educ' blues
J'ai mis du temps à me souvenir de son nom …
Je pensais l'avoir oubliée pour toujours. Enfouie dans une vie antérieure. Et puis voilà, on va fouiller dans ses vieux souvenirs d'éduc, pour déconner et v'là que le bon gros passé, au 1er degré, tape l'incrust', en invité impromptu …
C'était au Foyer pour Adultes Handicapés Mentaux de V…, tout au bout du RER, où je venais faire un stage, gratos, un an avant mon entrée à l'école d'éduc. Mon premier vrai contact avec le terrain, motivé à mort à l'idée d'enfin exercer le boulot dont je rêvais depuis que, presque encore gamin, j'avais vu le reportage de Lainé et Karlin sur Bettelheim.
Chantal. Elle s'appelait Chantal. Et ça lui allait comme un gant. Un physique de bonne grosse fermière, la robe à fleurs qui va avec, l'armoire normande en chêne massif dans la chambre, et les sous-vêtements du même métal, la culotte-gaine et le soutien-gorge d'un autre temps, utilitaire. Oh, pour une fois, n'y voyez rien de libidineux. Mais elle était très lente, lente à déplacer son énorme carcasse, lente à se décider à quitter l'endroit où elle était, surtout si c'était sa chambre. Alors quand tout le monde piaillait dans le minibus, pour partir à la piscine ou au jardin, et qu'on attendait, encore, Chantal, on montait à sa chambre, on frappait à la porte, par principe, par acquis de conscience, elle n'ouvrait jamais, et on entrait voir où elle en était. Parfois elle était presque prête, parfois elle était en sous-vêtement parce qu'il lui avait paru indispensable de changer de robe à fleurs entre le repas et le cours de percus mais ça lui prenait des heures, souvent elle était prête, mais elle voulait qu'on vienne la chercher.
Quand je suis arrivé au foyer, je l'ai vite repérée, la Chantal. Elle m'a accueilli par sa redoutable arme de défense : d'une main elle se faisait deux grandes dents, comme des crocs digitaux, de l'autre elle se battait les flancs, le tout