Essai
Les Essais sont cependant devenus un livre universel, « le seul livre au monde de son espèce », un livre unique qui met sous les yeux du lecteur non pas simplement un homme en train de se décrire, mais une vie en train de se faire2. Tout ce à quoi s'intéresse leur auteur se résume en effet en une seule question fondamentale : « qu'est-ce que l'homme ? » ou, plus exactement, « que suis-je, moi, Michel Eyquem de Montaigne ? »
Pour saisir ce qu'est l'homme, Montaigne le décrit aussi bien dans ses misères que dans ce qu'il a de grand : les Essais dressent le portrait d'un être dans la moyenne, divers, ondoyant, et surtout plus riche que tous les modèles idéaux auxquels on s'efforce de l'identifier. Les Essais sont de ce point de vue à l'opposé de tout système philosophique ; si Montaigne cherche la réalité de la condition humaine, c'est à travers l'observation de ce qu'elle a de plus quotidien, de plus banal — chez lui comme chez les autres. À cela s'ajoute la malice de l'auteur à diminuer ce qu'il écrit : « Toute cette fricassée que je barbouille ici n'est qu'un registre des essais de ma vie3. » Toutes les choses de la vie, même les plus humbles, sont dignes d'intérêt à ses yeux ; son plaisir est de mettre au jour une humanité nue et crue en scrutant son propre être intérieur, son « arrière-boutique » selon ses propres mots.
Un tel livre ne pouvait évidemment laisser indifférent. Réflexions d'un maître de sagesse et de tolérance pour les uns, ouvrage hérétique pour les autres, toujours imité et toujours