Eugène Fromentin "Oser cette couleur du fleuve"
Encore des villages. Vastes culture de douras inondés. Bœufs, buffles, fellahs à moitié cachés dans cette verdure éclatante. Petites bandes de hérons garde-bœufs. Peu d’oiseaux du reste, beaucoup moins que dans la haute Egypte. 4h, base des verdures plus claires que les eaux. Oser cette couleur du fleuve : du chocolat modelé par des ombres bleuâtres ; reflets du ciel plus clair que le ton local. Multitude de petites vagues écumeuses. Ecume : blanc, bitume et ocre ; très chaude. La chaîne arabique, mince, plus claire que tout se colore en rose aux approches du soir. Le ciel fauve à l’horizon La chaîne libyque, plus plate encore et plus éloignée, éclairée à revers, gris lavande. Ligne intermédiaire er très basse de petits villages à jardins de dattiers. Couleur sombre et neutre, se dégradant du verdâtre au gris. Jamais je n’ai mieux observé la loi des couleurs complémentaires. Partout où la végétation des roseaux tourne au jaune, les eaux voisines tournent au bleu. Il est 4 heures, le soleil baisse ; l’orangé va entrer dans la composition des couleurs ; les objets en contact deviennent violets. Se souvenir du soleil couchant admirable d’hier, au-dessus du village à moitié inondé de Boulacq. Roseaux à panaches argentés Pas d’oiseaux
J’aurai dans l’esprit des lambeaux singuliers ; beaucoup de leurs apparences, leur couleur, leur lumière, rien ou presque rien de leur forme ; réalités inconsistantes, phénomènes sans corps ; des rêves bien habillés. Dromadaires gris clair dans des masses de roseaux argentés ; au-delà le village en pleine lagune. Une île bordée de mimosa. Les fellahs montés sur les terrasses nous regardent passer. Une barque nous croise, vent arrière, emportée par le courant. Sa grande aile blanche. Matelots tous en chemise brune de poil de chèvre, en turban blanc. Dans sa largeur totale le Nil a plus d’une lieue ; une mer. De plus en plus brun,