La verve de Montaigne est inépuisable lorsqu'il s'agit de raîller le pédantisme des hommes de science et des gens de lettres de son époque. En éducation il importe, dit-il en substance, avant que d'en faire des spécialistes, de former des hommes, c'est-à-dire des êtres complets «qui puissent faire toutes choses et n'ayment à faire que les bonnes». S'il subordonne l'enseignement des sciences à l'éducation morale — «c'est une grande simplesse d'apprendre à nos enfants la science des astres, avant de leur apprendre la science de l'homme» —, il prend cependant parti pour une éducation naturelle, par laquelle l'étude de «mere nature en son entiere majeste» permet d'estimer la juste grandeur des choses. Deux siècles avant Rousseau, il s'insurge contre la dureté et la violence d'une éducation où le fouet tient souvent lieu de maître. Il ne faut pas considérer l'intelligence de l'élève comme un réceptacle vide qu'il importe de remplir. Il faut accorder une certaine indépendance au jeune esprit pour qu'il puisse, par le commerce des hommes, le voyage qui permet de «frotter et limer sa cervelle contre celle d'aultruy», développer l'entendement raisonné des choses. S'il dénonce les méfaits d'une culture livresque, c'est à cette culture où les mots des auteurs anciens, «empennés comme des oracles» tiennent lieu de substance en eux-mêmes, qu'il s'en prend.
Extrait
«L'effort principal de Montaigne fut de réclamer une éducation générale et humaine.
Personne n'a mieux compris que lui la nécessité de développer dans chaque individu les facultés qui font l'homme, avant de lui apprendre le métier qui fait le spécialiste. De tout temps il est nécessaire, il l'était surtout au seizième siècle, de rappeler l'attention vers cette éducation générale qui donne les moyens de réussir dans toutes les carrières, d'apporter partout une âme humaine, où l'on retrouve dans leurs grandes lignes tous les traits distinctifs de notre nature. Avant d'être des avocats, des