Femmes invisibles
2010-10-18T13:38:57cartouche
Pour le sociologue Smaïn Laacher du Centre d’étude des mouvements sociaux de l’École des Hautes Études en Sciences sociales (CEMS-EHESS) de Paris, la réalité des violences domestiques faites aux femmes issues de l’immigration est escamotée par les débats polémiques sur l’islam et la laïcité. Dans un livre innovant qui fera date, Smaïn Laacher se penche sur ces « femmes invisibles » qui ont osé exposer publiquement des affaires privées et tues. Le sociologue a finement analysé les courriers que des femmes en souffrance ont adressés à deux associations : Voix de femmes (spécialiste des mariages forcés) et la très médiatique Ni putes ni soumises. On en dégage, dans cet entretien, quelques intuitions que le regard intellectuel et les pouvoirs publics devront méditer avec sérieux.
À bâbord ! : L’expression publique de la violence vécue par les femmes immigrées est à situer dans quel processus social à vos yeux ?
Smaïn Laacher : Cette expression publique du refus de la violence et de la demande de réparation en justice se situe dans une transformation lente et historiquement irréversible des relations qui ont prédominé pendant longtemps entre espace privé et espace public. Ces populations sont issues dans leur grande majorité de pays où l’espace public n’existe pas. J’entends l’espace public moderne comme un espace inappropriable par un sexe, par la police d’État ou une police des mœurs comme les États musulmans aiment à les entretenir. Nous sommes, pour le dire dans le langage de Michel Foucault, en présence d’une parrêsia, d’une parole prise en son nom propre, n’engageant que soi, un geste risqué pour dire la vérité à tous les détenteurs du pouvoir : époux, familles et institutions ; tous ceux qui prennent plus que l’apparence du maître, qui sont réellement ou symboliquement les maîtres du corps d’autrui. Ce qui est, est-il besoin de le rappeler, la figure