Fondation de la sociologie
1L’onction populaire des gouvernants est pour nous la principale caractéristique d’un régime démocratique. L’idée que le peuple est la seule source légitime du pouvoir s’est imposée avec la force de l’évidence. Nul ne songerait à la contester, ni même à la réfléchir. Nous en sommes toujours restés là. Cet énoncé recouvre pourtant une approximation d’importance : l’assimilation pratique de la volonté générale à l’expression majoritaire. Mais elle n’a guère été discutée. Le fait que le vote de la majorité établisse la légitimité d’un pouvoir a en effet aussi été universellement admis comme une procédure identifiée à l’essence même du fait démocratique. Une légitimité définie en ces termes s’est d’abord naturellement imposée comme rupture avec un ancien monde où des minorités dictaient leur loi. L’évocation de « la grande majorité », ou de « l’immense majorité » suffisait alors à donner corps à l’affirmation des droits du nombre face à la volonté clairement particulière de régimes despotiques ou aristocratiques. L’enjeu décisif était de marquer une différence quant à l’origine du pouvoir et aux fondements de l’obligation politique. Partant de là, le principe de majorité s’est ensuite fait reconnaître dans son sens plus étroitement procédural.
2Le passage de la célébration du Peuple ou de la Nation, toujours au singulier, à la règle majoritaire ne va pourtant pas de soi, tant les deux éléments se situent à des niveaux différents. Il y a d’un côté l’affirmation générale, philosophique si l’on veut, d’un sujet politique, et de l’autre l’adoption d’une procédure pratique de choix. Se sont ainsi mêlés dans l’élection démocratique un principe de justification et une technique de décision. Leur assimilation routinière a fini par masquer la contradiction latente qui les sous-tendait. Les deux éléments ne sont en effet pas de même nature. En tant que procédure, la notion de majorité peut s’imposer aisément à l’esprit, mais il n’en va pas