Fran Ais
Depuis son prix Nobel, qui fit de lui en 2002 le premier auteur magyar distingué, Imre Kertész parcourt le monde, donne des conférences. Dans deux heures, il se rendra à Matignon pour un tête-à-tête discret, à l'invitation de Dominique de Villepin, qui affectionne ces déjeuners littéraires. Pourtant, nulle hiérarchie dans sa générosité. C'est avec la même curiosité qu'il considère son interlocuteur, ministre ou journaliste. Sa concentration, son regard intense et doux impressionnent. Tout comme cette ravissante façon de déguster son expresso à petites gorgées. L'homme connaît la valeur de chaque plaisir, au premier rang desquels manier les mots. Il s'exprime en allemand. Un paradoxe, pour un écrivain hongrois dont l'oeuvre a été marquée par l'univers concentrationnaire ? «La langue de Roth et de Schnitzler n'est pas la langue des nazis !» s'exclame Imre Kertész.
La langue - et la langue allemande, insiste-t-il - fut l'une des clés de sa survie. Dans les camps d'abord, où dès les premières minutes, sur le quai de la sélection, le mot juste assure la «bonne» file. Un «sechszehn » pour visa : «seize ans», l'âge du droit au travail. Sous le joug communiste, ensuite, auquel on résiste en lisant les auteurs pas encore traduits en hongrois, Thomas Mann, Kafka ou Camus. Plus tard, c'est aussi d'Allemagne que viendra son premier lectorat. Kertész traduit Schnitzler, Nietzsche, Freud, Canetti ou Wittgenstein, et, après plusieurs séjours, s'installe à Berlin en 2001.
Dès la fin des années 40 s'impose à lui le besoin impérieux de l'écriture. Des gagne-pain, articles ou pièces populaires et, très vite, le roman. «Ecrire pour blesser» devient son dessein avoué. La