"Rien ne fait mieux penser à une boutique de brocanteur que ce recueil de vers publié par M. Guillaume Apollinaire sous un titre à la fois simple et mystérieux : Alcools. Je dis : boutique de brocanteur parce qu'il est venu échouer dans ce taudis une foule d'ojets hétéroclites dont certains ont de la valeur, mais dont aucun n'est le produit de l'industrie du marchand même. C'est bien là une des caractéristiques de la brocante : elle revend ; elle ne fabrique pas. Elle revend parfois de curieuses choses ; il se peut qu'on trouve, dans ses étalages crasseux, une pierre de prix montée sur un clou. Tout cela vient de loin; mais la pierre est agréable à voir. Pour le reste, c'est un assemblage de faux tableaux, de vêtements exotiques et rapiécés, d'accessoires pour bicyclettes et d'instruments d'hygiène privée. Une truculente et étourdissante variété tient lieu d'art, dans l'assemblage des objets. [...] M. Guillaume Apollinaire apporte, certes, à la composition de ses poèmes, un mélange de candeur et d'astuce dont il est peut-être de bon ton de paraître étonné. Il me semble pourtant que l'on doit toujours distinguer à première vue ce mélange de jargon des grands ports de commerce et d'éloquence littéraire, d'avec le délire inspiré que nous ont fait connaître les plus grands d'entre les symbolistes. M. Apollinaire ne manque pas d'érudition ; on a constamment l'impression qu'il dit tout ce qu'il sait. Aussi, brave-t-il impudemment les règles les plus accomodantes de la mesure et du goût. Deux idées, si distantes soient-elles dans le monde des réalités, sont toujours, pour le poète, liées par un fil secret et ténu. Il appartient au plus grand art de tendre ce fil jusqu'à sa limite d'élasticité; il appartient à l'ambition et à la maladresse de casser ce fil en voulant trop le tendre. Autrement dit, plus une image s'adresse à des objets naturellement distants dans le temps et l'espace, plus elle est surprenante et suggestive. Un effort superflu, et le