Hamlet
C’est encore une énigme à deviner que le caractère d’Hamlet. On voit assez généralement dans Hamlet tout à la fois une folie feinte et une folie réelle ; ce qui, jusqu’à un certain point, ne serait pas une contradiction, si on consulte les faits de l’observation pathologique. Plus j’étudie le caractère d’Hamlet, sa conduite et ses discours, plus il me semble qu’il n’y a chez lui qu’une folie feinte ; sa tristesse naturelle, son esprit soupçonneux, sa défiance de lui-même, l’habitude qu’il a d’analyser ses sensations et ses sentiments, la conscience de son irrésolution au moment d’agir, la crainte perpétuelle de rester au-dessous des devoirs terribles dont il se croit charger, tout cela appartient, au tempérament mélancolique tout cela ne constitue pas la folie. Un fou dissimulera aussi artificieusement que le fait Hamlet, mais ce sera justement pour tromper sur sa folie même, ou arriver par un détour à atteindre le but vers lequel le pousse son idée fixe : — un fou a-t-il peur, comme Hamlet, de devenir fou ? Continue-t-il à analyser tout ce qui se passe en lui ? Connaît-il si bien la nature de sa force et de sa faiblesse ? Calcule-t-il avec tant de précision tous les effets de sa moindre parole? Peut-il faire successivement des retours sur le passé et montrer cette prévoyance du lendemain qui n’abandonne jamais Hamlet ? ce serait difficile. Si les rêveurs d’Allemagne, auxquels on a comparé le prince danois qui a étudié dans leurs universités, ont cette puissance et cette rigueur de logique, ce sont de grands philosophes, et non des fous. Dans la douleur que lui causent la mort de son père et le prompt mariage de sa mère, Hamlet, il est vrai, a songé au suicide : mais comme il a bien vite écarté cette pensée coupable : Dieu nous défend d’attenter à nos jours.
Ce dégoût de la vie est provoqué chez Hamlet par un premier soupçon qu’il se reproche sans doute. Ignorant encore la vérité, il blâme sa mère d’avoir si vite oublié le