Héros Katow
D’André Malraux – 1933
Imprégnés des idéaux révolutionnaires de Malraux, les personnages de la Condition humaine tentent de donner un sens à la vie face à l’absurdité du monde. L’insurrection communiste de Shanghai de mars 1927, visant à libérer la ville de la domination étrangère, vient d’être réprimée dans le sang par le leader nationaliste Tchang Kaï-chek. Katow, l’un des chefs révolutionnaires, a été capturé. Il attend la mort avec ses compagnons, une mort particulièrement atroce, puisqu’ils doivent être jetés vivants dans la chaudière d’une locomotive.
Malgré la rumeur, malgré tous ces hommes qui avaient combattu comme lui, Katow était seul, seul entre le corps de son ami mort et ses deux compagnons épouvantés, seul entre ce mur et ce sifflet perdu dans la nuit. Mais un homme pouvait être plus fort que cette solitude et même, peut-être, que ce sifflet atroce : la peur luttait en lui contre la plus terrible tentation, de sa vie. Il ouvrit à son tour la boucle de sa ceinture. Enfin :
Hé, là, dit-il à voix très basse. Souen, pose ta main sur ma poitrine, et prends dès que je la toucherai : je vais vous donner mon cyanure. Il n’y en a’bsolument que pour deux. Il avait renoncé à tout sauf à dire qu’il n’y en avait que pour deux. Couché sur le côté, il brisa le cyanure en deux. Les gardes masquaient la lumière, qui les entourait d’une auréole trouble ; mais n’allaient-ils pas bouger ? Impossible de voir quoi que ce fût ; ce don de plus que sa vie, Katow le faisait à cette main chaude qui reposait sur lui, pas même à des corps, pas même à des voix. Elle se crispa comme un animal, se sépara de lui aussitôt. Il attendit, tout le corps tendu. Et soudain, il entendit l’une des deux voix : « C’est perdu. Tombé. »
Voix à peine altérée par l’angoisse, comme si une telle catastrophe n’eût pas été possible, comme si tout eût dû s’arranger. Pour Katow aussi, c’était impossible. Une colère sans limites montait en lui mais