Ibn Khaldûn est un célèbre inconnu
Cette méconnaissance est, en elle-même, une énigme historique. Lorsque Ibn Khaldûn meurt, à soixante-quatorze ans, en 1406, quelques ouvrages savants continuent, pendant un temps, à évoquer son enseignement, à vanter l’éclectisme et la curiosité de son esprit, sans insister toutefois sur l’originalité de son grand oeuvre, Le Livre des exemples (1). Puis plus rien, pendant plus de trois cents ans, sinon, ici ou là, quelques citations, empruntant au texte, sans toujours le citer, quelques conseils pratiques sous formes de recettes politiques sur l’art de bien gouverner. C’est en Turquie, au XVIIIe siècle, que l’oeuvre d’Ibn Khaldûn et notamment son introduction au Livre des exemples, la Muqaddima, connaît un renouveau d’intérêt dans les milieux intellectuels préoccupés par le déclin de l’Empire ottoman. A remarquer que la traduction turque, partielle, de la Muqaddima est contemporaine de la publication en France de L’Esprit des lois de Montesquieu, si proche souvent d’Ibn Khaldûn dont il ignore l’existence.
Ce n’est en effet qu’au début du XIXe siècle, à la suite de l’expédition en Egypte de Bonaparte que Sylvestre de Sacy fit connaître en France, puis en Europe, cet historien arabe du XIVe siècle dont le discours, enfin, devenait audible dans son audacieuse nouveauté.
Une nouveauté dont Ibn Khaldûn était conscient. C’est d’abord ce qui frappe à la lecture du Livre des exemples, dans la remarquable édition critique d’Abdesselam Cheddadi. Notable politique, expert écouté en science religieuse, musulman attaché à la