"Illusions perdues" de balzac, (première sortie au théâtre)
Illusions perdues est l'un des romans les plus ambitieux de cette « cathédrale » romanesque qu'est La Comédie humaine. À travers l'itinéraire désastreux d'un jeune et beau poète angoumoisin en quête de gloire littéraire, Balzac dépeint avec finesse la cruauté de la société parisienne, avec ses codes et ses mécanismes aux rouages complexes. Dans le présent extrait, Lucien est arrivé depuis peu à Paris, en compagnie de son égérie, Mme de Bargeton, qui nourrit de grandes ambitions pour son amant. Lors de sa première sortie au théâtre, il observe, déçu, cette femme qu'il admirait tant naguère, cependant que celle-ci se livre au même examen et en tire des conclusions analogues. Comment cette scène, portée par un double regard symétrique, et subtilement orchestrée par le narrateur, met-elle en évidence la nature des relations sociales dans la haute société parisienne ? Nous montrerons d'abord comment évolue le regard que les deux personnages portent l'un sur l'autre. Nous étudierons ensuite l'influence de la société environnante sur les jugements des personnages.
I. L'évolution du regard que les personnages portent l'un sur l'autre
1. Double portrait, triple regard
Cette page est constituée de deux portraits successifs : celui de Mme de Bargeton, puis celui de Lucien, « son amant ». Ces descriptions, largement dépréciatives, sont organisées autour d'un double point de vue interne : le narrateur adopte dans un premier temps le regard de Lucien sur Mme de Bargeton, comme l'indiquent les verbes de perception (« lui fit remarquer »), puis le point de vue s'inverse, comme le signale l'expression « De son côté ». Cette réciprocité du regard est subtilement mise en perspective par le narrateur, qui met en scène ce premier « bain » parisien du couple provincial en apportant des commentaires au présent de vérité générale (« En province il n'y a ni choix ni comparaison à faire ») ou en donnant des informations ignorées par l'un ou l'autre des personnages : «