Imaginaire et imagination
Le champ sémantique des divers vocables dérivés en français du terme d'image risquerait d'être singulièrement appauvri si l'interprétation en était faite sur le seul fondement étymologique du latin imago. Dans son acception originaire, ce terme vise en effet le trait de ressemblance dont se trouve marquée une représentation, et les emplois dans lesquels on le rencontre, du produit à l'image des ancêtres et même au spectre, des visions du rêve aux fables, intéressent au même titre l'affinité de la reproduction avec l'original. Aussi bien imago a-t-il même racine qu'imitor. S'agit-il au contraire de donner un équivalent à notre « imaginaire », c'est-à-dire à ce genre de représentation dont c'est l'essence de nous soustraire au déjà-vu, et d'ériger un monde dont on entend souligner qu'il est sans modèle, c'est à d'autres racines qu'il sera fait appel, dont les connexions sémantiques s'étendent de la sphère de la fiction - res fictae - à celle des prodiges - portenta. Ainsi s'explique la confusion du domaine relevant de l'« imagination ». Les manuels de psychologie du début du siècle la masquaient et la trahissaient, dans l'opposition d'une imagination « reproductrice » et d'une imagination « créatrice » : simple témoignage de l'obligation où s'est trouvée la psychologie d'intégrer à la tradition léguée par l'imago latine une diversité d'acceptions qui en mesurent l'insuffisance initiale. Dans la mesure où les y engageaient des préoccupations techniques, les écrivains latins ont bien marqué d'ailleurs par leurs emprunts terminologiques l'obligation où ils étaient de renouveler leur lexique de l'imaginaire, et c'est vers le grec qu'ils se sont tout naturellement tournés par une série d'emprunts dont l'usage français a lui-même bénéficié. De l'équivalent grec de l'imago latine, c'est-àdire de l'« icône » (eikyn), on dissociera le fantasme (fantasma), c'est-à-dire l'objet de la fantasia (fantaisie) auquel le fantastikon (phantastikon)