Jean de la fontaine
Son père, maître des Eaux et Forêts de ce duché, le revêtit de sa charge dès qu'il fut capable de l'exercer, mais il y trouva si peu de goût, qu'il n'en fit la fonction, pendant plus de vingt années, que par complaisance.
Il est vrai que son père eut pleine satisfaction sur une autre chose qu'il exigea de lui, qui fut qu'il s'appliquât à la poésie, car son fils y réussit au delà de ce qu'il pouvait souhaiter. Quoique ce bonhomme n'y connut presque rien, il ne laissait pas de l'aimer passionnément, et il eut une joie incroyable, lorsqu'il vit les premiers vers que son fils composa. Ces vers se ressentaient comme la plupart de ceux qu'il a faits depuis, de la lecture de Rabelais et de Marot, qu'il aimait et qu'il estimait infiniment.
Le talent merveilleux que la nature lui donna, n'a pas été inférieur à celui de ces deux auteurs, et lui a fait produire des ouvrages d'un agrément incomparable. Il s'y rencontre une simplicité ingénieuse, une naïveté spirituelle, et une plaisanterie originale qui, n'ayant jamais rien de froid, cause une surprise toujours nouvelle. Ces qualités si délicates, si faciles à dégénérer en mal et à faire un effet tout contraire à celui que l'auteur en attend, ont plu à tout le monde, aux sérieux, aux enjoués, aux cavaliers, aux dames et aux vieillards, de même qu'aux enfants.
Jamais personne n'a mieux mérité d'être regardé comme original et comme le premier de son espèce. Non seulement il a inventé le genre de poésie, où il s'est appliqué, mais il l'a porté à sa dernière perfection ; de sorte qu'il est le premier, et pour l'avoir inventé, et pour y avoir tellement excellé que personne ne pourra jamais avoir que la seconde place dans ce genre d'écrire.
Les bonnes choses qu'il faisait lui coûtaient peu, parce qu'elles coulaient de source, et qu'il ne faisait autre chose que d'exprimer naturellement ses propres pensées, et se peindre lui-même. S'il y a