Joie et tristesse, plaisir et douleur
N'a-t-on pas confondu joie et gaieté? N'a-t-on pas mécompris les rapports du bonheur sage avec le plaisir? Identifier bonheur et plaisir d'un côté, malheur et douleur de l'autre, n'est-il pas un contre-sens?
Le plaisir n'est que la satisfaction d'un appétit. Même s'il devait durer, il ne serait pas la joie. La joie ne s'identifie pas au plaisir et ne s'oppose pas à la douleur. La joie est indifférente au plaisir parce qu'elle est au-delà des appétits et elle traverse la douleur sans maudire. "Pardonne-leur, Seigneur" : parole d'un Homme heureux, qui dit Oui à la vie. Ou bien : "Tout est accompli" - ce qui signifie que l'égo est transcendé. L'Homme qui dit cela est au-delà du plaisir et de la peine, au-delà de la recherche inquiète de l'intérêt personnel. Sa paix (ou son équanimité) est son bonheur.
La joie parle au-delà des larmes. La gaieté ne parle que des satisfactions de l'égo, et au fond, la gaieté, naïve, ne se rend pas compte qu'elle est menacée par la tristesse. Ce dont elle se réjouit aujourd'hui, c'est précisément ce que, demain, devenue avare ou jalouse, elle aura peur de perdre, à moins que, souffrant de pléonexie, elle ne se lasse et ne se mette à courir vers de nouvelles illusions. Pléonexie : triste loi d'avalanche qui condamne le sujet désirant, lassé par l'habitude de posséder, à poursuivre un nouvel objet. Toujours plus! Toujours plus, chaque appétit satisfait engendrant un manque plus grand que celui qu’il est venu combler : malheureux Sisyphe enfermé dans le cycle de la répétition angoissée! Incapables de supporter la privation, ceux qui croient devoir poursuivre le plaisir, auront la vie que leur promet Schopenhauer : oscillant sans fin « de la douleur à l’ennui » - douleur quand ils luttent pour obtenir une satisfaction qui leur résiste, et ennui aussitôt leur