Kasmi
(Толстой Алексей Константинович)
1817 – 1875
LE RENDEZ-VOUS DANS TROIS CENTS ANS
Écrit en français en 1840 ; publié en 1912 (posthume)
Publiée dans André Lirondelle, Le Poète Alexis Tolstoï, Paris, 1912.
Par une belle nuit d’été nous étions réunis au jardin de notre grand-mère, les uns près d’une table éclairée par une lampe, les autres assis sur les marches de la terrasse. De temps en temps, la brise nous apportait des bouffées d’un air embaumé, ou bien de lointaines vibrations d’un chant rustique, et puis tout redevenait silencieux, et l’on n’entendait plus que le frétillement des phalènes, autour du globe dépoli de la lampe. — Eh bien ! mes enfants, nous dit notre grand-mère, vous m’avez souvent demandé une vieille histoire de revenants... Si le cœur vous en dit, venez vous asseoir autour de moi, je vous raconterai un événement de ma jeunesse qui vous donnera de bons frissons quand vous vous trouverez tout seuls, couchés dans vos lits. Aussi bien cette nuit si calme me rappelle le beau temps passé, car, vous allez vous moquer de moi, mais depuis bien des années il me semble que la nature est moins belle qu’autrefois. Je ne vois plus de ces bonnes journées si chaudes, si radieuses, de ces fleurs si fraîches, ni de ces fruits si savoureux ; et tenez, à propos de fruits, je n’oublierai jamais un panier de pêches que m’envoya un jour le marquis d’Urfé, un jeune fou qui me faisait la cour parce qu’il avait trouvé dans ma figure je ne sais quel trait caractéristique qui lui avait tourné la tête. À vrai dire, je n’étais pas trop mal dans ce temps-là. et quiconque verrait aujourd’hui mes rides et mes cheveux blancs, ne se douterait guère que le roi Louis XV m’avait surnommée la rose des Ardennes, surnom que j’avais bien mérité, en enfonçant bon nombre d’épines dans le cœur de Sa Majesté. Pour ce qui était du marquis d’Urfé, je puis vous assurer, mes enfants, que s’il l’avait voulu, je n’aurais pas maintenant le plaisir