La cantatrice chauve
http://www2.tku.edu.tw/~tkjour/paper/30/30-4.fulltext.pdf
L’effondrement du langage
Il décide d’apprendre l’anglais, et c’est en l’étudiant avec la méthode Assimil que l’idée lui vient de La Cantatrice chauve dont une partie du dialogue imite les phrases incohérentes d’un manuel de conversation courante en langue étrangère. "Les répliques du manuel, que j’avais pourtant correctement, soigneusement copiées les unes à la suite des autres, se déréglèrent", confie Ionesco. L’outrance de l’emploi des lieux communs dans cet ouvrage et le sérieux qu’il faut mettre à les répéter constituent une source inépuisable de comique: "Ma femme est l’intelligence même. Elle est même plus intelligente que moi. En tout cas, elle est beaucoup plus féminine", laisse tomber gravement M. Smith dans La Cantatrice chauve. Le premier héros ionescien est le langage, dont cette pièce suit la décomposition grandissante, puis galopante. Les phrases sclérosées se défont dans le non-sens: "On peut prouver que le progrès social est bien meilleur avec du sucre"; le texte est rongé de mots bâtards: "J’ai mis au monde un mononstre." Quand le langage n’est plus irrigué profondément par une pensée vive, il se flétrit et tombe en poussière. La communication entre les êtres s’évanouit. Mais c’est le spectateur, après la sortie, qui tire ces conclusions; Ionesco, lui, ne livre que des dialogues entièrement mécanisés, et pousse le rythme de la machine jusqu’au vertige du néant. L’absurde tue le langage. Le tragique latent d’un tel théâtre, parfaitement dissimulé dans La Cantatrice chauve (1950), se révèle dans La Leçon (1951), où le langage fonctionne tout seul, alors que sous lui progressent silencieusement, comme des reptiles, de sourdes pensées sadiques. Pour compenser ce tragique, Ionesco prescrit la règle d’or: "Sur un texte burlesque, un jeu dramatique. Sur un texte dramatique, un jeu burlesque" (Notes et contrenotes