La chute
Jean-Paul Sartre L’être et le néant
Quatrième partie AVOIR, FAIRE ET ÊTRE Chapitre premier
Être et faire : la liberté
II.— Liberté et facticité : La Situation E) Ma mort [p. 615] Après que la mort ait paru l’inhumain par excellence puisque c’était ce qu’il y a de l’autre côté du « mur », on s’est avisé tout à coup de la considérer d’un tout autre point de vue, c’est-à-dire comme un événement de la vie humaine. Ce changement s’explique fort bien : la mort est un terme et tout terme (qu’il soit final ou initial), est un Janus bifrons : soit qu’on l’envisage comme adhérent au néant d’être qui limite le processus considéré, soit, au contraire, qu’on le découvre comme agglutiné à la série qu’il termine, être appartenant à un processus existant et d’une certaine façon constituant sa signification. Ainsi l’accord final d’une mélodie regarde par tout un côté vers le silence, c’est-à-dire vers le néant de son qui suivra la mélodie ; en un sens il est fait avec du silence, puisque le silence qui suivra est déjà présent dans l’accord de résolution comme sa signification. Mais par tout un autre côté il adhère à ce plenum d’être qu’est la mélodie envisagée – sans lui cette mélodie resterait en l’air, et cette indécision finale remonterait à contre-courant de note en note pour conférer à chacune d’elles un caractère inachevé. La mort a toujours été – à tort ou à raison, c’est ce que nous ne pouvons encore déterminer – considérée comme le terme final de la vie humaine. En tant que telle, il était naturel qu’une philosophie surtout préoccupée de préciser la position humaine par rapport à l’inhumain absolu qui l’entoure, considérât d’abord la mort comme une porte ouverte sur le néant de réalité-humaine, que ce néant fût d’ailleurs la cessation absolue d’être ou l’existence sous une forme non-humaine. Ainsi, pourrons-nous dire qu’il y a eu – en corrélation, avec les grandes théories réalistes – une conception réaliste de la mort, dans la