La dissertation philosophique Liberté
S1 'agissant de la liberté, l'opinion commune -que sans doute d'ailleurs, sur ce point, chacun de nous partage intimement et initialement- oscille entre deux extrêmes2 . D'abord elle conçoit la liberté comme absence absolue de limites, rigoureuse négation de toutes contraintes, pouvoir absolu sur soi, les autres et le monde3 . Le prototype d'une telle liberté serait Calliclès lorsqu'il déclare4 :
"Car comment serait-on heureux, quand on est esclave de qui que ce soit?
Mais ce qui selon la nature est beau et juste, c'est ce que j'ai la franchise de te dire à présent : que celui qui veut vivre droitement sa vie, doit, d'une part, laisser les passions qui sont les siennes être les plus grandes possibles, et ne point les mutiler; être capable, d'autre part, de mettre au service de ces passions, qui sont aussi grandes que possible, les forces de son énergie et de son intelligence; bref, donner à chaque désir qui pourra lui venir la plénitude des satisfactions." (Platon, Gorgias, 491e-492a)
On reconnaît dans les propos de Calliclès une conception courante de la liberté comme revendication d'une satisfaction des désirs et des passions à la fois sans entraves et à la fois sur une échelle toujours plus large. En quoi Calliclès rejoint l'opinion commune dans une conception de la liberté face à laquelle toute limite, si mince soit elle, est absence de respect de ma liberté, absence de respect de la liberté de cet autre que je suis pour tout autre. C'est dire qu'une quelconque limite apparaît alors comme insupportable et inadmissible.
Cependant, insouciant de la contradiction, chacun, tout aussi promptement qu'il revendique pour soi une telle liberté absolue, en exclut tous les autres5 . C'est qu'alors, le respect de la liberté des autres risque de ruiner ma propre liberté en la niant. Tout se passe comme si chacun sentait bien à la fois l'intérêt, pour soi, d'une liberté