La désutilité du travail
On a pris l’habitude, hélas ! d’opposer systématiquement la pensée libérale et Keynes. En réalité il faut y mettre plus de discernement. Dans le chapitre Les postulats de l’économie classique de La théorie générale, Keynes prend soin d’avertir son lecteur que son désaccord ne porte que sur le second postulat. Une invitation à y porter toute attention. Selon ce postulat, il y aurait égalité entre le salaire et la désutilité du travail. Il y a là une formulation un peu barbare, alimentant de prime abord une dispute ésotérique d’économistes. Pour rendre ces discours plus accessibles, explicitons les termes du débat, qui oppose la tradition libérale issue du XIXème siècle à la révolution copernicienne keynésienne.
I – La tradition classique.
A – La justification libérale de l’égalité. La pensée économique libérale s’est largement constituée au XIX ème. La réalité économique est celle d’un capitalisme concurrentiel. La main invisible d’A. Smith ou le commissaire priseur de Walras font des merveilles. Un prix monte tant qu’il y a preneur. L’équilibre est atteint quand l’offre ne trouve plus de demande supplémentaire. Le raisonnement est à la marge. Sur le marché du travail, la formulation inverse, qui revient au même, est sans doute plus heureuse : l’équilibre est atteint lorsque la demande de travail des entreprises ne trouve plus d’offreur au salaire proposé. La désutilité du travail, nous dit Keynes pour expliquer la pensée libérale, « doit s’entendre comme englobant les raisons de toute nature qui peuvent décider un homme ou un groupe d’hommes à refuser leur travail plutôt que d’accepter un salaire qui aurait pour eux une utilité inférieure à un certain minimum ». Les choses sont alors claires. Ce seuil à partir duquel l’individu se retire du marché du travail mesure sa désutilité de « sa sueur » : le salaire égalise la désutilité marginale du volume d’emploi.
B – Les