La princesse de cleve
Le commis éclata de rire. - Ah ! non, tu me chatouilles, dit-il, pas de ces plai- santeries-là… Voyons, finis : tu vas me faire tomber. Laurent serra plus fort, donna une secousse. Camille se tourna et vit la figure effrayante de son ami, toute convulsionnée. Il ne comprit pas ; une épouvante vague le saisit. Il voulut crier, et sentit une main rude qui le serrait à la gorge. Avec l’instinct d’une bête qui se défend, il se dressa sur les genoux, se cramponnant au bord de la barque. Il lutta ainsi pendant quelques secondes. -Thérèse ! Thérèse ! appela-t-il d’une voix étouffée et sifflante.
La jeune femme regardait, se tenant des deux mains à un banc du canot qui craquait et dansait sur la rivière.
Elle ne pouvait fermer les yeux ; une effrayante contrac- tion les tenait grands ouverts, fixés sur le spectacle horri- ble de la lutte. Elle était rigide, muette. -Thérèse ! Thérèse ! appela de nouveau le malheu- reux qui râlait. A ce dernier appel, Thérèse éclata en sanglots. Ses nerfs se détendaient. La crise qu’elle redoutait la jeta toute frémissante au fond de la barque. Elle y resta pliée, pâmée, morte. Laurent secouait toujours Camille, en le serrant d’une main à la gorge. Il finit par l’arracher de la barque à l’aide de son autre main. Il le tenait en l’air, ainsi qu’un enfant, au bout de ses bras vigoureux. Comme il pen- chait la tête, découvrant le cou, sa victime, folle de rage et d’épouvante, se tordit, avança les dents et les enfonça dans ce cou. Et lorsque le meurtrier, retenant un cri de souffrance, lança brusquement le commis à la rivière, les dents de celui-ci lui emportèrent un morceau de chair. Camille tomba en poussant un hurlement. Il revint deux ou trois fois sur l’eau, jetant des cris de plus en plus sourds. Laurent ne perdit pas une seconde. Il releva le collet de son paletot pour cacher sa blessure. Puis il