La voix entre centre et absence
A Cerisy, Queneau déclare que l’origine du langage, cela pouvait avoir été le fait d’un « type » qui avait mal au ventre et qui voulait le dire. « Evidemment, il n’y parvenait pas, il n’y est jamais parvenu, jamais personne n’y parviendra. » Et Quignard, dans Le dernier Royaume : « Plus l’angoisse se fit lourde dans le coeur, plus la gorge se serra. Plus la gorge se serra, plus le ressort de la voix fut remonté à cran et c’est la première aube et le premier soleil. » On note que la fin de cette phrase est une allégorie … et un alexandrin, et que l’un comme l’autre de nos deux auteurs pensent le langage et la littérature sous la forme de mythes, aussi brefs soient-ils. C’est dans cet esprit – et sous l’autorité grande de l’image – que j’évoquerai ici la question de la voix en interrogeant très sommairement l’imaginaire qu’elle induit en nous et dans la langue.
De la voix et du sujet
Commençons par cette évidence – mais qui donne à penser, si on veut bien la penser : alors que la question de l’énonciateur est toujours problématique quand nous lisons un texte dans un livre (il a fallu les travaux de la narratologie pour rendre certains lecteurs attentifs au fait que dans un roman, celui « qui parle » n’est tout simplement pas « l’auteur »), à partir du moment où le texte est dit, un énonciateur s’incarne, quand bien même il resterait une instance abstraite. La voix est donc le premier medium de la mise en espace du texte.
Il faut pourtant observer que la voix identifie et n’identifie pas. Identifie quand elle permet de distinguer Untel d’un autre : on entend « Vous avez dit bizarre ? » et c’est Michel Simon, on entend « Atmosphère, atmosphère », et c’est tout de suite Arletty. N’identifie pas quand elle exprime la prière grégorienne du moine. Et puis, la voix incarne et n’incarne pas. Incarne quand il suffit d’entendre une seule note chantée pour postuler un corps, un sujet. N’incarne pas quand plusieurs voix, ensemble,