sequence 5 : La controverse de valladolid de J.C. CarrièreLe serpent à plumes (extrait du chapitre 8)

Le cardinal franchit avec prudence le passage dangereux. Suivi par le supérieur et par le comte Pittaluga, il s’approche du serpent à plumes. Il le regarde attentivement, un assez long moment, avant de constater :

-C’est en effet très laid.

A l’exception de Las Casas tous les assistants, comme s’ils n’attendaient qu’un signal pour parler, s’empressent d’approuver le jugement du cardinal. A vrai dire aucun d’eux, par origine ou par éducation, ne peut …afficher plus de contenu…

Ainsi le critère esthétique, unilatéralement défini, appuie la thèse de la hiérarchie naturelle. Le sauvage n’a pas le sens du beau. Esclave de naissance, l’accès à la beauté lui est par nature interdit. Quelle beauté ? Il n’en existe qu’une seule et c’est la nôtre, semblent répondre les commentateurs improvisés, dans la salle capitulaire ; celle qui se conforme aux règles que nous avons depuis longtemps tracées. Entre le goût et la pensée, une mystérieuse corrélation s’est établie de longue date, qui repose sur un inébranlable syllogisme : l’homme supérieur apprécie la beauté véritable, par conséquent je suis un homme supérieur. Et personne depuis les Grecs ne peut trouver la moindre faille dans ce raisonnement en tout point …afficher plus de contenu…

Le coup théâtral de Sepùlveda l’embarrasse. Il pourrait répondre que les mots « belle sculpture » ne signifient probablement rien pour les habitants de là-bas, que la fonction même de l’art y est sans doute très différente (à supposer qu’il ait une fonction), sans parler des règles esthétiques, toujours relatives, variables. Mais il ne peut pas, étant l’homme qu’il est, échapper au raisonnement par