Le capitalisme sans capital
L'arrivée massive des fonds de pension et investisseurs institutionnels dans le capital des entreprises a conduit à modifier considérablement les objectifs de gestion. Le critère essentiel devient la rentabilité des fonds propres (l'argent investi dans l'entreprise), et non plus la rentabilité économique du capital (les biens de production). D'un critère d'entrepreneur, on est passé à un critère de gérant de fonds.
Le potentiel d'amélioration de la rentabilité économique étant limité, c'est en déformant les structures de financement de l'entreprise que l'on augmente aujourd'hui le rendement de ses fonds propres. Les entreprises augmentent le «levier» (le rapport entre la dette et les fonds propres) en s'endettant davantage et/ou en rachetant leurs actions en Bourse. Cela permet de concentrer les profits sur un capital faible et, donc, d'accroître la rentabilité du point de vue des actionnaires. Par ailleurs, ces efforts d'augmentation de la rentabilité conduisent à comprimer les coûts et à sous-investir. Les conséquences de ces évolutions sont troublantes. Au moment où les investisseurs cherchent à acheter des actions, par exemple pour compléter leurs retraites, le stock d'actions disponibles diminue puisque les entreprises les rachètent. Par ailleurs, les exigences de gestion des fonds de pension conduisent à priver les entreprises du support d'investissement dont elles ont besoin. En poursuivant cette tendance, on parviendrait à des économies sans capital, très fragiles en cas de récession: les structures de contrôle des entreprises seraient dangereuses puisque les actionnaires extérieurs ne joueraient plus de rôle.