Introduction : Ce texte est extrait du Cid, tragi-comédie publiée par Corneille en 1637. Dans ce texte, Rodrigue exprime ses hésitations et son désespoir : son père Don Diègue vient de lui ordonner de venger dans un duel son honneur bafoué par Don Gomès le père de Chimène que Rodrigue devait épouser de façon imminente. La scène 6 de l’acte I comprend six stances ou strophes au terme desquelles Rodrigue donne la préférence à l’honneur c’est-à-dire à la vengeance. Tout en sachant bien qu’il sacrifie ainsi son mariage avec Chimène.
J’étudierais les trois premières strophes du monologue. Ce texte peut être lu de deux manières, comme un monologue délibératif (c’est-à-dire comme un texte à caractère argumentatif) et comme un texte lyrique.

I. Un monologue délibératif

 Définition : Délibérer, c’est peser le pour et le contre, envisager plusieurs hypothèses afin de prendre une décision ; c’est une forme de l’argumentation.

A) Le dilemme de Rodrigue
Le caractère argumentatif du monologue est d’abord visible dans la formulation et dans l’analyse du dilemme de Rodrigue. Celui-ci est présenté, de manière métaphorique, comme un combat intérieur, une psychomachie : « Que je sens de rudes combats ! Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse ». Rodrigue devient le lieu d’un affrontement entre deux systèmes de valeurs, celui de l’« honneur » et celui de l’« amour ». Ce combat intérieur l’affecte, comme le disent les métaphores de la blessure qui transposent sur son corps ce qui se déroule dans son âme : « percé jusques au fond du cœur » « mon âme…cède au coup qui me tue ». Ce dilemme est par lui analysé dans tous ses aspects, et le combat de ces valeurs soudain contradictoires s’exprime par des constructions binaires -des antithèses par exemple : « Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse. Il faut venger un père, et perdre une maîtresse. L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras. » S’opposent ici honneur et amour, père et maîtresse, comme dans le vers