L'univers lafontainien, hanté par la célébration du désir et du plaisir, est peuplé de personnages hauts en couleur, de maquignons, de prêtres en goguette, de jeunes veuves ou de vieilles filles tracassées des ovaires. Le conteur-fabuliste définit ainsi le genre de la fable dans « Le Bûcheron et Mercure » : « Une ample comédie aux cent actes divers/ Et dont la scène est l'Univers » (Livre V, fable I). La Fontaine ne se prive pas de critiquer, tout particulièrement, les mœurs du clergé. La satire anticléricale, par sa virulence inouïe, tourne le dos au modèle rustique de l'apologue ésopique. La fable intitulée « Le Curé et le Mort » (Livre VII, Fable XI) est une petite scène de genre, teintée d'humour rose, à mi-chemin du pamphlet et du conte pornographique, qui relate un accident de la circulation (une sortie de route d'un corbillard). L'anecdote n'avait pas échappé à Madame de Sévigné (1626-1696) qui ne manque pas de raconter l'incident à sa fille Françoise Marguerite, dans sa truculente correspondance. Dans une lettre adressée donc à la comtesse de Grignan, datée du 26 février 1672, elle écrit : « Monsieur de Boufflers a tué un homme après sa mort. Il était dans sa bière et en carrosse ; on le menait à une lieue de Boufflers pour l'enterrer ; son curé était avec le corps. On verse : la bière coupe le cou au pauvre curé ». La Fontaine va raconter les choses d'une toute autre façon.
Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l'ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s'agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait