le Droit
Fondation Jean Piaget
[Texte de 1944. Pagination conforme à la nouvelle publication de ce texte dans les Études sociologiques, Genève, 1965.]
LES RELATIONS ENTRE LA MORALE ET LE DROIT
Nous nous proposons, en cet article, de dégager certains mécanismes communs aux faits moraux et aux faits juridiques, ainsi que certaines différences ou oppositions. Sans cesse repris, soit au point de vue des délimitations pratiques (en particulier chez les juristes, pour lesquels la question de frontières se pose quotidiennement), soit au point de vue de la philosophie du droit ou de la philosophie morale, le problème des relations entre le droit et la morale intéresse à coup sûr la sociologie pure. C'est sur ce dernier terrain que nous nous placerons exclusivement, mais cette position spéciale et bien délimitée des questions appelle peut-être quelques éclaircissements préalables pour le lecteur dont les habitudes d'esprit de jurisconsulte, de moraliste ou de philosophe l'éloigneraient de la manière propre au sociologue, qui est d'expliquer les faits sociaux comme des faits, en s'efforçant constamment de ne point les évaluer, même du point de vue de son système métaphysique personnel.
I
La sociologie juridique constitue, en effet, une discipline bien distincte de la science du droit ou de la philosophie du droit. Ces dernières se placent nécessairement au point de vue normatif, c'est-à-dire qu'elles réduisent la connaissance des règles de droit à l'analyse de leur validité, sans chercher à les expliquer par des faits psychologiques ou historiques extérieurs au droit lui-même. La sociologie juridique, au contraire, considère ces règles comme des faits parmi les faits et tend à les interpréter en fonction de l'ensemble des autres faits sociaux au lieu de rechercher, comme les juristes purs, ce qui est juridiquement valable, elle se demande simplement comment les hommes en société en sont venus à
élaborer