Le langage
Si on s'attache à définir l'essence du langage, n'est-on pas fondé à affirmer qu'il rend possible une maîtrise qui ne serait que maîtrise? Certains usages du langage, trahissant son essence, n'autorisent-ils pas toutefois à dire indissociables maîtrise et domination? Ne peut-on exiger, inversement, un usage conforme à son essence? Serait-on alors fondé à affirmer que maîtrise et domination, loin de s'appeler l'une l'autre, s'excluent réciproquement?
Puisqu'il a pour fonction essentielle l'expression de la pensée et la communication entre les hommes, il est clair que le langage joue un rôle éminent dans les phénomènes de pouvoir. Il permet ou facilite l'action; il l'interdit ou la sanctionne; le droit se dit et s'écrit et ceux qui dirigent la Cité exercent leur fonction par l'intermédiaire du langage, tout comme ils sont attentifs à en capter les signes. Dans toutes les sociétés, les titulaires du pouvoir ont possédé la maîtrise du langage ou des langages propres à orienter l'action d'autrui. Ceux-là sont détenteurs de ce "maître-mot" que Kipling attribuait dans la jungle à l'enflant démuni mais qui finirait par s'emparer de la fleur rouge. Prêtres et scribes, pontifes et rois, légistes et avocats, journalistes et hommes des médias connaissent tour à tour cette puissance. L'agora d'Athènes était le lieu de disputes, de collusions oratoires. De même, Dieu se manifeste par cet acte de langage: " Au commencement était le Verbe" disait déjà