Le mal
On trouve dans la bouche du Vicaire deux jugements apparemment contradictoires sur la raison. D'une part, la raison est présentée comme faculté naturelle de l'homme, capable de nous permettre de juger et de connaître : « les plus grandes idées de la divinité nous viennent de la raison seule » (p. 98) ; d'autre part, elle est dénoncée comme raisonneuse, téméraire et finalement impuissante : « j'élève et fatigue en vain mon esprit à concevoir son essence » (p. 81) et trompeuse : « trop souvent la raison nous trompe et nous n'avons que trop acquis le droit de la récuser. » (p. 83)
Comment résoudre cette apparente contradiction ?
Notons tout d'abord que ces deux types de discours sur la raison ne se répartissent pas au hasard dans le texte. La valorisation de la raison se trouve essentiellement dans la deuxième partie, quand il s'agit de critiquer la révélation. La raison est alors posée par opposition à l'autorité arbitraire des prêtres et des institutions qui prétendent détenir la vérité et exigent que les hommes s'y soumettent sans jugement : « Ne donnons rien au droit de la naissance et à l'autorité des pères et des pasteurs […] ils ont beau me crier : soumets ta raison […] il me faut des raisons pour soumettre ma raison » (p. 101).
Inversement, la critique de la raison se trouve essentiellement dans la première partie où le couple que Rousseau examine n'est plus le couple raison-révélation, mais le couple conscience-raison, et ce qui est critiqué c'est alors la prétention de la raison à s'opposer au sentiment intérieur : « Je vous dirais que je le sais parce que je le sens […] et c'est en vain qu'on voudrait raisonner pour détruire en moi ce sentiment (p. 61) ». La dénonciation de la raison est alors la dénonciation de sa prétention à s'affranchir de la lumière naturelle de la conscience. Elle a alors le « triste privilège de m'égarer d'erreur en erreur (p. 90) »
Cette première remarque nous conduit à