Le malaise dans la civilisation chapitre 1
L’un de ces hommes éminents se déclare dans ses lettres mon ami. Je lui avais adressé le petit livre où je traite la religion d’illusion ; il me répondit qu’il serait entièrement d’accord avec moi s’il ne devait regretter que je n’eusse tenu aucun compte de la source réelle de la religiosité. Celle-ci résiderait, à ses yeux, dans un sentiment particulier dont lui-même était constamment animé, dont beaucoup d’autres lui avaient confirmé la réalité, dont enfin il était en droit de supposer l’existence chez des millions d’êtres humains. Ce sentiment, il l’appellerait volontiers la sensation de l’éternité, il y verrait le sentiment de quelque chose d’illimité, d’infini, en un mot : d’« océanique ». Il en ferait ainsi une donnée purement subjective, et nullement un article de foi. Aucune promesse de survie personnelle ne s’y rattacherait. Et pourtant, telle serait la source de l’énergie religieuse, source captée par les diverses Églises ou les multiples systèmes religieux, par eux canalisée dans certaines voies, et même tarie aussi.