Le moi
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants; si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir? Non; car il ne pense pas à moi en particulier; mais celui qui
- 3 - aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on? moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même.
Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables?
Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste.
On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.
Si nous analysons ce texte dans le détail, nous observons qu’à la question : « Qu’est-ce que le moi ? « , Pascal répond d’abord par un argument destiné à s’opposer aux libertins.
Le moi est-il identifi,é par son corps ? Mais la toute première remarque ne porte pas même sur le corps, mais sur l’accident. Car si je suis un passant dans la rue et qu’un homme à la fenêtre me regarde, le fait qu’il me voit est, du point de vue de la substance que je suis, accident , c'est-à-dire, si nous reprenons la définition d’Aristote, une modification de la substance qui n’est ni nécessaire ni constante, en ce qu’elle ne participe pas de l’essence de la chose. Ainsi, ce n’est pas en tant que je suis qui je suis (en tant que je suis un être déterminé), que l’homme me voit dans la rue ; car s’il ne me voyait pas, je n’en serais pas moins le même.
Ce premier argument est donc plutôt en faveur d’une préservation de l’idée de substance,