Le monde de l'art
HAMLET : Do you see nothing there ? THE QUEEN : Nothing at ah ; yet ail that is I see. (SHAKESPEARE, Hamlet, Acte III, se. IV)*
Hamlet et Socrate, l'un en guise d'éloge, l'autre en guise de dépréciation, parlent de l'art comme d'un miroir tendu à la nature. Comme pour maints désaccords en matière d'attitude, celui-ci a une base concrète. Socrate voyait les miroirs comme ne reflétant que ce que nous pouvons déjà voir ; ainsi l'art, dans la mesure où il ressemble à un miroir, produit-il de vaines répliques exactes des apparences des choses, et n'est d'aucun profit cognitif. Hamlet, de façon plus pénétrante, reconnaissait un trait remarquable des surfaces réfléchissantes, à savoir qu'elles nous montrent ce que nous ne pourrions pas percevoir autrement — nos propres visage et forme — et ainsi l'art, dans la mesure où il ressemble à un miroir, nous révèle à nous-mêmes, et a donc, après tout, même selon les critères socratiques, une certaine utilité cognitive. En tant que philosophe, pourtant, je trouve l'argumentation de Socrate déficiente, pour des raisons peutêtre moins profondes que celles qui viennent d'être alléguées. Si l'image-enmiroir de 0 est effectivement une imitation de 0, alors, si l'art est imitation, les images-en-miroir sont de l'art. Mais en fait refléter des objets dans un miroir n'est pas plus de l'art que n'est justice de retourner des armes contre un fou ; et faire référence aux reflets dans un miroir serait justement le genre de contre-exemple sournois dont nous attendrions que Socrate le présente pour réfuter la théorie, qu'il illustre au contraire en les utilisant. Si cette théorie exige que nous classions ces reflets comme art, elle montre par là son défaut : « être une imitation » ne jouera pas le rôle de condition suffisante pour « être de l'art ». Cependant, peut-être parce que les artistes s'étaient engagés dans l'imitation, au temps de Socrate et par la suite, l'insuffisance de la théorie ne fut pas