Le progrès?
L'alliance de ces deux termes a cessé de constituer un paradoxe : les connotations positives du mot progrès se sont inversées au cours du XXème siècle, dès lors que la science oubliait le bonheur des hommes en poursuivant de son côté des ambitions effrénées ou se mettait au service des puissances d'argent. Nous savons maintenant que le progrès n'est pas une marche confiante et cumulative vers un mieux-être, puisqu'un progrès ici peut se payer (se paie souvent) d'une régression là. Denis de Rougemont proposait naguère de mesurer le progrès, non pas à l'aune de ses conquêtes, mais des risques qu'il nous fait courir. Bonne occasion pour nous d'ouvrir notre programme en synthétisant trois condamnations du progrès, formulées par trois écrivains, vilains empêcheurs de profiter en rond.
TEXTE 1
Éteindre ce fanal perfide.
Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l'enfer. - Je veux parler de l'idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance; la liberté s'évanouit, le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l'histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l'amour du beau : et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s'endormiront sur l'oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude. Cette infatuation est le diagnostic d'une décadence déjà trop visible. Demandez à tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet ce qu'il entend par progrès, il répondra que c'est la vapeur, l'électricité et l'éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains, et que ces