Le revolté
Délégitimer la violence
Le 18 octobre 1951 paraît 'L'Homme révolté'. Caricaturé, trop souvent réduit à un antimarxisme, l'essai est en réalité beaucoup plus dense et lumineux. Cohérent, il traduit une pensée arrivée à maturité. Insoumis, souverain, il exprime le désir de fonder une éthique capable de contenir ou d'éviter une politique de la démesure et de la haine de l'autre.
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A la sortie de 'L'Homme révolté', Camus avait envisagé de vives réactions. La violence de certaines critiques venant de la gauche, dont Sartre et la bande des Temps modernes (avec qui il rompt définitivement quelques mois après), confirme son appréhension, quand la droite lui fait, grossièrement attachée à une sévère dénonciation du marxisme et de l'histoire, un accueil plus favorable. De son coté, Raymond Aron refuse l'arbitrage et note "le style de l'écriture et le ton de moraliste". (1) In fine, Camus a-t-il eu raison contre ces autres ? Force est de constater qu'un siècle aussi meurtrier penche tristement en sa faveur.
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Camus n'est cependant ni un pacifiste borné ni un objecteur radical de la violence. Lui-même ne justifiait-il pas dans un article publié dans Combat le 24 août 1944, intitulé "Le sang de la liberté", les armes et le meurtre des résistants aux noms de ''raisons immenses'' : celles de "l'espoir et de la profondeur de la révolte" et "d'une justice pour demain" ? Quelques lignes plus loin, Camus relativise toutefois les raisons du sang aux nécessités du réel et encadre la révolte : "Le Paris qui se bat ce soir veut commander demain. Non pour le pouvoir, mais pour la justice, non pour la politique, mais pour la morale, non pour la domination de leur pays, mais sa grandeur." (2) Voilà établis, six ans avant sa parution, les fondements de 'L'Homme révolté'. Le drame n'habite pas la violence elle-même, mais sa justification ou son institutionnalisation. L'odeur des charniers devient encore plus insoutenable lorsqu'elle est