Le sanglot de la terre
Jules Laforgue fait partie de ces poètes de la deuxième moitié du XIXe siècle au destin tragique, comme Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud. Inadapté à la société, malade, mal reconnu en tant que poète, il meurt à l'âge 27 ans en laissant une œuvre inachevée mais prometteuse. Dans ce sonnet, extrait du Sanglot de la terre, publié alors qu'il n'a que vingt ans, le poète raconte comment, fumant une cigarette, il part dans un voyage onirique qui l'éloigne du réel sordide et le conduit vers un univers imaginaire plus plaisant. Quels sont les enjeux de ce voyage ? Pour répondre à la question, nous nous demanderons d'abord pour quelles raisons le poète quitte la réalité. Nous décrirons ensuite l'univers fantaisiste qu'il atteint. Enfin, nous examinerons si l'expérience ainsi décrite apporte le bonheur ou non.
A - LES RAISONS DU DEPART
1) Le rejet de la réalité
La première strophe exprime l'ennui du poète devant la vie ordinaire. Dès le premier vers en effet, le constat est sans appel : "oui, ce monde est bien plat". L'affirmation banale "oui", le choix d'un lexique simple (l'auxiliaire être et l'adjectif "plat") contribuent à accentuer le caractère fataliste de ce constat. L'ennui est confirmé dès le vers suivant : "Moi, je vais, résigné, sans espoir, à mon sort". Le rythme extrêmement découpé du vers, 1+2+3+3+3, crée un sentiment de lourdeur, comme si la marche du poète, "je vais", était entravée par le désespoir. Il ne va d'ailleurs nulle part que vers son "sort", son destin, c'est-à-dire la mort, les deux mots, "mort" et "sort" étant rapprochés par la rime. La vie se donne ainsi à voir comme dénuée du moindre sens, réduite à n'être qu'une attente de la mort : "et pour tuer le temps, en attendant la mort". Le thème réapparaît à la strophe suivante puisque, s'adressant aux hommes, le poète évoque leur mort future : "allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes".
2) La solution de l'au-delà rejetée
Laforgue va plus loin encore dans le