Le colonel chabert de Laurent Gaudé
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30 « Le Colonel Barbaque » figure dans le recueil de quatre récits s’appelant Dans la nuit
Mozambique. Des récits de voyages? Certainement pas au sens où on l'entend: ici, pas de descriptions exotiques, mais plutôt un voyage au fond de l'âme damnée. Laurent Gaudé a préféré, comme il le fait dans beaucoup de ses romans, décrire la face …afficher plus de contenu…
Comme j’ai maigri. Ma main ressemble à celle des cadavres d’Egypte. Ce n’est pas la main d’un homme de mon âge. On dirait un corps mangé par le scorbut. J’ai la main sèche d’un tueur. Oui, c’est cela qui m’a amaigri comme un vieux cheval : le sang que j’ai fait couler. J’aurais dû mourir là-bas, dans les tranchées8. C’est ce qui aurait dû arriver. Mort au combat. Décoration9 posthume. Comme les autres. La mère aurait pleuré, mais elle aurait pu être fière au fil des années. Ils y sont tous passés : Dermoncourt, Castellac, Messard, et
Borboni qui a explosé dans un souffle chaud de chair brûlée. J’aurais dû mourir là-bas. Il n’y avait pas de raison que je survive. J’aurais dû allonger10 d’un nom la longue liste …afficher plus de contenu…
Les tranchées s’ouvraient devant lui pour le laisser passer.
La voix chaude de M’Bossolo me tirait des limbes et lavait déjà mes plaies. Cette voix que je n’ai plus jamais entendue.
C’est ce jour-là qu’est né le colonel Barbaque. Non, c’est plus tard, bien plus tard. Ce jour-là est mort Ripoll. J’ai vécu plusieurs années comme une ombre, sans nom, sans volonté, avec la démarche lente des grands brûlés. J’ai erré longtemps avant de naître à nouveau. […] Est-ce que M’Bossolo a su qu’il allait sauver un tueur ? Quelques semaines plus tard, j’ai voulu le retrouver. J’avais repris des forces. L’infirmerie me laissait sortir deux heures par jour pour que je prenne l’air. Je l’ai cherché partout. J’ai demandé au capitaine