Lecture Analytique Albert Cohen
ALBERT COHEN,
Belle du seigneur.
De la rencontre...
Solal, brillant et riche diplomate, haut responsable de la Société des Nations, s'est introduit dans la chambre d'Ariane Deume, épouse d'un modeste fonctionnaire, qu'il a rencontrée lors d'une soirée. Grimé en vieux juif errant, il lui fait une déclaration.
Il lui sourit, et elle eut un tremblement, baissa les yeux. Atroce, ce sourire sans dents. Atroces, ces mots d'amour hors de cette bouche vide. Il fit un pas en avant, et elle sentit le danger proche. Ne pas le contrarier, dire tout ce qu'il voudra, et qu'il parte, mon Dieu, qu'il parte.
Devant toi, me voici, dit-il, me voici, un vieillard mais de toi attendant le miracle. Me voici, faible et pauvre, blanc de barbe, et deux dents seulement, mais nul ne t'aimera et ne te connaîtra comme je t'aime et te connais, ne t'honorera d'un tel amour. Deux dents seulement, je te les offre avec mon amour, veux-tu de cet amour ?
Oui, dit-elle, et elle humecta ses lèvres sèches, essaya un sourire.
Gloire à Dieu, dit-il, gloire en vérité, car voici celle qui rachète toutes les femmes, voici la première lumière !
Ridiculement, il plia le genou devant elle , puis il se leva et il alla vers elle et leur premier baiser, alla avec son noir sourire de vieillesse, les mains tendues vers celle qui rachetait toutes les femmes, la première humaine, qui soudain recula, recula avec un cri rauque, cri d'épouvante et de haine, heurta la table de chevet, saisit le verre vide, le lança contre la vieille face. Il porta la main à sa paupière, essuya le sang, considéra le sang sur sa main, et soudain il eut un rire, et il frappa du pied.
Tourne-toi, idiote ! Dit-il.
Elle obéit , se tourna, resta immobile avec la peur de recevoir une balle dans la nuque, cependant qu'il ouvrait les rideaux, se penchait à la fenêtre, portait deux doigts à ses lèvres, sifflait. Puis il se débarrassa du vieux manteaux et de la toque de fourrure, ôta la fausse barbe, détachât le sparadrap