Les deux amis de bourbonne
Olivier et Félix « s’aimaient comme on existe, comme on vit, sans s’en douter... ». Cela pourrait ressembler aux premières lignes d’un conte de fées, mais Diderot préféra qualifier les quelques pages des Deux Amis de Bourbonne, écrit en
1770, de « conte historique ».
Olivier et Félix se sont sauvé mutuellement la vie plusieurs fois. Ils tombent amoureux de la même femme : pour laisser
Olivier vivre sa passion, et aussi parce qu’il est « dégoûté de la vie », Félix se « précipita dans toutes sortes de métiers dangereux : le dernier fut de se faire contrebandier ». Dans l’extrait suivant, Diderot oppose à la morale admirable de l’amitié, l’injustice terrible de ceux qui exercent le pouvoir judiciaire.
Vous9 n’ignorez pas (...) qu’il y a quatre tribunaux en France, Caen, Reims, Valence et Toulouse10, où les contrebandiers11 sont jugés ; et que le plus sévère des quatre, c’est celui de Reims, où préside un nommé Coleau12 ; l’âme la plus féroce que la nature ait encore formée. Félix fut pris les armes à la main, conduit devant le terrible Coleau, et condamné à mort, comme cinq cents autres qui l’avaient précédé. Olivier apprit le sort de Félix. Une nuit il se lève d’à côté de sa femme, et sans lui rien dire il s’en va à Reims. Il s’adresse au juge Coleau ; il se jette à ses pieds, et lui demande la grâce de voir et d’embrasser Félix. Coleau le regarde, se tait un moment, et lui fait signe de s’asseoir. Olivier s’assied. Au bout d’une demi-heure, Coleau tire sa montre, et dit à Olivier : « Si tu veux voir et embrasser ton ami vivant, dépêche-toi ; il est en chemin ; et si ma montre va bien, avant qu’il soit dix minutes il sera pendu ». Olivier, transporté de fureur, se lève, décharge sur la nuque du cou au juge Coleau un énorme coup de bâton, dont il l’étend presque mort ; court vers la place, arrive, crie, frappe le bourreau, frappe les